UNE AMAZON 122 S AU TOUR DE CORSE HISTORIQUE 2021

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Il est des rêves d’enfants tenaces.

Le Tour de Corse était pour moi l’un de ceux-ci. Participer à cette épreuve mythique représentait pour le jeune garçon en culottes courtes le graal. Le réaliser à l’âge où d’aucuns, plus raisonnables, envisagent l’avenir en Ehpad relève pour certains de la folie, pour d’autres simplement d’une suite certaine dans les idées.

Qu’importe, me voici donc en début de cet automne sur l’île beauté, plus communément appelée dans le « milieu », l’île aux dix mille virages. Je dirais plutôt quant à moi, après sa découverte, l’île sans lignes droites ! Mes rêves, petit à petit documentés, l’avaient heureusement prévu et un osthéo judicieusement réservé a heureusement et efficacement complété une préparation physique solide mais malgré tout juste. Mais, quand on aime…

C’est donc en bonne forme qu’arrive le jour J. L’homme va donc pas trop mal et l’automobile devrait suivre. L’automobile ? Une Volvo Amazon 122 S, année de construction 1965. 150/160 chevaux (les bons jours), des suspensions revisitées (Billstein réglables), boite et pont court, et j’en passe. Bref, plus rien ou presque de série (à part la direction toujours non assistée qui me rappellera cruellement avoir un peu renâclé sur les pompes certains matins !) 

Nous sommes donc confiants avec Bernard, mon coéquipier avec qui nous avons décidé de partager volant et émotions. Trop confiants peut être puisque, un peu ingénus, nous inscrivons notre grand-mère en moyenne élevée. Elle nous le reprochera rapidement.

C’est donc entre des Porsche, Ford Escort body-buildées et autre Lancia Stratos que nous prenons le départ à Porto Vecchio sous l’œil intrigué d’une foule autochtone manifestement acquise à la cause automobile (je vous l’ai dit : quel beau pays !). La première étape Porto Vecchio-Porto Vecchio est relativement courte, une simple mise en jambe d’une bonne demi-journée mais dont le classement donnera l’ordre des départs pour les jours suivants. 
Confiance et naïveté doivent être synonymes : nous nous voyons, avant le départ, aux environs de la trentième place, forts donc de nos 150 CV et d’une instrumentation électronique de tout premier ordre. Nous avons décidé que je prendrai le volant, Bernard étant plus aguerri aux instruments … Et nous finissons 98! Les 150 CV n’ont manifestement pas suffi malgré leur sollicitation extrême. ET comme si cela ne suffisait pas, les trente premiers sont partout « à la seconde » quand nous hurlons de joie lorsque nous approchons le temps idéal à 3-4 secondes près ! 

Cette Corse, manifestement un autre monde. Je ne l’avais pas vu sous cet angle dans mes rêves de gosse. Petite consolation tout de même : Grâce au nouvel ordre de départ, notre Volvo se retrouve, décomplexée, entre des voitures (un peu) plus sages quoique toujours des Porsche, des BMW, Alpine et autres mais peut-être moins affutées.

Haut les cœurs : jour 2. Bernard prend le volant le matin. Je le remplace l’après-midi. La Volvo est vaillante, à tel point que nous dépassons deux voitures dans une spéciale et trois autres dans celle qui suit. Au propre et au figuré, l’ancêtre rugit et les 7'000 tours/minute comme les freinages au frein à main hydraulique ne lui font pas peur. Quelques petites secondes de répit heureusement de temps à autre pour l’aïeule, à l’approche des virages scrupuleusement repérés en reconnaissance surplombant des vides à rendre jaloux les montagnards que nous sommes. Ces virages sont marqués en rouge dans nos notes et nous les passons à un train relevant plus du sénateur que du pilote ! Mais grâce à ces breaks, la Volvo respire ! Pour le reste, c’est le pied comme on dit et on ne sait qui du pilote – confronté à une direction que n’ont certainement plus connus les conducteurs depuis les poids lourds d’avant-guerre – ou du navigateur déclamant ses notes virage par virage sur trente à cinquante kilomètres de suite est le plus épuisé au sortir des épreuves.

Bref : superbe 2e jour : on s’est éclatés, on est fourbus …mais toujours près de la centième place soit loin, très loin des classements que j’obtenais dans mes rêves de gosse.

3e jour : Nous sommes toujours vaillants et la Volvo, semble t’il, aussi. Petite ombre au tableau, le départ est diablement de bonne heure pour le lève-tard que je suis et c’est moi qui suis de corvée pour le volant ! Tout ça s’avèrera de mauvais augure. 
Première spéciale : je suis heureusement (enfin !) complètement réveillé. La route est en descente prononcée, en relativement bon état (c’est à souligner car bien rare dans ce merveilleux pays) et Bernard, un lève-tôt, en pleine forme pour lire les notes : « Gauche 3, suivi de deux gauches à fond, 100 mètres et droite 2 (soit droite serré) sur pont. Je profite de la descente pour compenser notre puissance asthmatique et tout va bien … jusqu’au « freinage 2 sur pont ». Freinage aux abonnés absents ! La pédale reste dure mais la Volvo n’en décélère pas moins pour autant. Et le muret arrive vite, très vite ! Il n’y a que deux alternatives pour tenter de l’éviter : prier le seigneur (ou plutôt Saint Christophe, patron des automobilistes en détresse si mes souvenirs d’éducation chrétienne sont encore exacts) ou user du frein à main pour se freiner latéralement. La deuxième solution m’apparait plus efficace et c’est donc dans un superbe travers que nous évitons, d’extrême justesse, ce maudit pont. Il reste 15 bons kilomètres de spéciale. Ça va (et ça a été !) chaud. La pédale reste dure et la voiture freine (un peu) mais elle tire énormément à gauche. Je remarque incidemment qu’en « pompant » le freinage est plus efficace (ou plutôt moins faiblard) et la voiture tire moins. C’est donc un balai de deux pieds pour trois pédales que j’inaugure. Pied gauche sur le frein sur les lignes droites avec quelques années et venues sur l’embrayage et le pied droite rivé sur l’accélérateur. Et ça passe, dans les temps qui plus est ! OUF !

L’assistance n’est pas loin mais le temps est compté. Vite une brève inspection de Charly, notre mécanicien de toujours. «Pas grave dit-il sans rire ! (S’il le redit une fois encore, je le prends dans la voiture !) Juste une mâchoire grippée ! Va falloir un moment ».
« Pas le temps : Dis-moi juste : on peut continuer comme ça sans danger ? »
« oui, oui : ça va tirer mais en pompant ça devrait aller » (Je le prends dans la voiture ?)

ET on repart en trombe, plus ou moins rassurés. Du coup, j’ai oublié de me changer de tee-shirt. Tant pis, je resterai mouillé jusqu’à l’os !

Tout se passe bien en pompant gaillardement dans la deuxième spéciale de la matinée et nous sommes encore dans les temps …en sollicitant beaucoup le moteur et les suspensions. Mais enfin, c’est une Volvo et elle en a vu d’autres !

Au tour maintenant de Bernard après un sandwich avalé à la hâte. La confiance, le pauvre, n’y est pas. Ce d’autant plus qu’il reprend le volant moins de deux kilomètres avant la troisième épreuve. A la réflexion, j’aurais dû lui proposer de garder le volant jusqu’à la fin de la spéciale. Il aurait eu alors quelque 50 kilomètres de routier pour s’habituer aux nouvelles conditions. Mais on est toujours plus malins après !

Et voici la dernière spéciale de la journée. Bernard a assimilé la méthode, la confiance est à nouveau là et on est à nouveau dans les temps sur une route en vraiment mauvais état et aux virages à ce point continus que j’en perds la voix ! Tout va bien donc. On sent l’arrivée proche et le parc d’assistance pour remettre tout ça en ordre.
Il ne reste plus que trois kilomètres.  « Droite 3 suivi de G 2.5, D 2.5 sur G2 ». Je lève un œil après le G2.5 pour voir sur la gauche une Porsche capot levé. Les abandons, mécaniques ou sur sortie de route se succèdent. D 2.5 passé ; je sens dans mes reins l’entame du G2 … et j’entends une énorme déflagration puis ressens immédiatement un sous virage prononcé.

« ET merde. Crevaison » Me dis-je.
Mais Bernard se met – difficilement – sur le bas-côté et s’arrête. J’explose : « Mais non, vas-y, continue. T’arrête pas pour une roue. Reste 3 kils. On fait sur la jante. C’est trop c… »
« C’est pas le pneu. C’est la suspension ».
« Et alors ! On va y arriver ».
« Va voir »

Je me détache et sors, furieux ! ET je vois ! C’est plus grave que je pensais. La roue gauche est sous la voiture.

C’est l’abandon. L’adrénaline tombe d’un coup, remplacée par des larmes, de rage et de déception.
Triangle de panne et téléphoner à la direction de course comme spécifié dans le règlement.
Mais le téléphone ne passe pas. Je me déplace sur quelques 300 mètres pour avoir de la liaison et là, je vois avec effroi un vide monstrueux. La rage s’estompe !

Trois heures plus tard, nous sommes dans la dépanneuse, en route vers Calvi, le point d’étape .. et le retour, marri, sur le Continent.

Une superbe aventure tout de même dans un si beau pays. Une organisation remarquable et une gentillesse de tous les instants et à chaque bord de route. Et merci à toute notre équipe et nos soutiens au nombre desquels Suixtil dont nous avons tous porté avec fierté les. habits

 Oh Tour de Corse : c’est sûr tu nous reverras ! 

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